L'herbe sous le vent ...

Krall était en plein entraînement, son regard vert observant avec intensité une pomme amère située devant lui. Il avait croqué dedans avant de se permettre de la prendre pour cible, des fois ces petites pommes acides étaient succulentes. Celle-là ne l’était pas et c’était sans doute en le sachant que le propriétaire du pommier l’avait laissé sur le sol. On ne viendrait pas l’ennuyer pour avoir prit quelque chose qui se trouvait au pied d’un arbre et qui était aussi pitoyable. Voler une vraie pomme, il ne se le serait pas permis. En effet, c’était du vol que de cueillir le fruit d’un végétal dont on n’était pas le propriétaire. Armé d’un bâton presque parfaitement droit, le jeune homme se plaça face à la pierre ronde sur laquelle il avait posé la pomme. A présent à quelques mètres de là, il observait avec attention sa cible avec attention. Puis il s’élança soudain en direction de la pierre et tenta de venir percuter la pomme avec le bout du bâton dans un ample mouvement circulaire. Il resta un instant indécis, n’ayant senti aucune secousse et observa la pierre… Sa cible était indemne. Il poussa un juron et s’écarta puis recommença le petit exercice.

Cette fois-ci l’impact fut au rendez-vous et la pomme éclata en morceau, le trognon, la partie la plus dure, partie en ligne droite… Et vint percuter la tête du paysan qui se trouvait dans son champ. Krall serra les dents. Quelle déveine ! Jaïna pourquoi m’oublies-tu si souvent, pensa-t-il avant de prendre la poudre d’escampette. Dévalant le terrain en pente, il monta bientôt sur un talus et sauta sans réfléchir sur le chemin qui se trouvait derrière un nuage de ronce. Il serra les dents en sentant que son pied venait d’atterrir dans l’entrelacs de tiges épineuses. Il tira un coup sec, faisant fi de la douleur et parti à toute jambe sans demander son reste alors qu’il entendait brailler le propriétaire du terrain avec force vociférations. A en croire ce qu’il en entendait, il fallait qu’il se félicite que l’agriculteur n’ait pas sous la main un arc. Krall en regrettait presque de ne pas lui envoyait le bâton au visage plutôt qu’une simple pomme, qui plus est aussi minuscule. Mais bientôt il se fit le reproche d’être aussi cruel, après tout l’homme était dans son bon droit, il était chez lui et un inconnu lui envoyait un fruit à la tête. C’était normal que de s’énerver, et puis il ne l’avait même pas corrigé. L’injustice lui était bénéfique en cet instant.

Finalement, lorsqu’il se posa et repensa à la tête de ce vieux paysan persuadé d’avoir affaire à un mal élevé qui méritait des coups de baguette il éclata de rire. Son hilarité il ne la comprenait pas vraiment, mais il l’accueillait bien volontiers. Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas rit de la sorte, sans cesse soumis à l’angoisse, il lui arrivait de vomir et de pleurer sans savoir pourquoi… Et là il arrivait à éprouver une joie simple, enfantine et parfaitement sincère. Se fut même avec le sourire qu’il se mit en peine de faire sortir les épines de son mollet, n’hésitant à appuyer avec force sur sa peau, la pinçant pour en faire ressortir les aiguilles végétales qu’il laissait ensuite au sol. Son sourire disparut au bout de la troisième, la douleur le ramenant au calme. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il eut fini et qu’il remarqua l’état de ses jambes, il s’imposa de prendre un bain. Le fleuve n’était pas bien loin et il connaissait un endroit où il s’épanchait et perdait de sa vigueur tant et si bien qu’on pouvait s’y baigner en n’ayant de l’eau jusqu’aux hanches seulement. S’empêchant de boitiller en crispant légèrement ses mâchoires et en s’efforçant de penser à autre chose qu’à la douleur, il se mit alors en marche.

Une fois arrivé audit endroit, il alla plonger ses jambes dans l’eau, ayant retiré son pantalon pour l’occasion, gardant seulement sa chemise qui lui tombe à mi-cuisse. Il en profita pour se frotter avec du sable, retirant la crasse des poils de ses mollets ce qui lui permettrait d’avoir sans doute un peu moins chaud. Il fit attention à ce qu’aucune particule ne subsiste à l’intérieur de ses blessures superficielles et finalement observa le fleuve tout en laissant l’eau claire et fraîche le privait de toute douleur. C’était via cet accès maritime à la ville que des bateaux emportés des charges lourdes depuis des lieux situés en amont du fleuve. Le cours d’eau était assez calme aujourd’hui, sans doute parce que la plupart des navires de commerce étaient déjà dans la ville en train de déverser leur contenu sur les quais en échange de quelques bonnes et belles pièces d’or. Le jeune homme de son côté était encore loin de la réussite financière. Toujours décidé à devenir mercenaire, il n’avait encore jamais touché à une arme et encore moins trouver un employeur. Un petit soupir s’échappa de ses lèvres sèches. Il se baissa alors pour boire un peu d’eau et eût un petit sourire. Finalement, en cet instant précis il n’avait pas vraiment besoin d’argent. Il avait un temps assez bon, de l’eau fraîche. C’était bien suffisant pour se sentir bien aller. Il retira donc cette chemise qu’il avait pour dernier vêtement et s’allongea tranquillement dans l’eau, appréciant ce moment sans même imaginer qu’une personne puisse le découvrir ici. Comment aurait-il put penser qu'une jeune femme n'était pas loin.

Le cri désarçonna le jeune homme qui flottait tranquillement à la surface de l’eau. Immédiatement sa tête plongea dans le liquide clair et il se redressa bien vite sur ses pieds pour cracher l’eau tout en toussant bruyamment. Mais par quel malheur avait-il fallu qu’on le surprenne de cette manière, le forçant à se noyer à moitié. Lorsqu’il eût enfin retrouvé son souffle il déglutit doucement et se tourna vers la berge. Une fille somme toute assez jeune lui tourné le dos et restait la tête baissée. Durant un instant il se demanda si ce n’était pas un mauvais esprit… Ca expliquerait le cri impressionnant qui l’avait fait sursauter dans l’eau. Puis finalement il comprit lorsqu’un courant un peu trop frais passait entre ses cuisses. Honteux il baissa la tête à son tour et alla retrouver ses affaires qu’il enfila prestement bien qu’encore tremper. Serrant les dents il secoua ses cheveux en espérant les sécher un peu puis les remis derrière sa nuque pour ne pas qu’ils gênent sa vue. La jeune fille ne s’était pas encore retourner apparemment. Il fallait qu’il s’excuse, sans doute avait-il choqué une âme pudique.

"Heu… Je suis habillé de nouveau…"

Il s’avança vers elle d’un pas délicat et lorsqu’il fut assez proche d’elle, sans pour autant oser être véritablement près, il ajouta :

"Je tiens à m’excuser, je ne pensais pas choquer quelqu’un en me baignant. Pardon."

Véritablement honteux le jeune Krall s’écarta d’un pas régulier de la jeune femme. Et bien il aurait put profiter un moment de la fraîcheur de l’eau tout en se décrottant. Quittant les alentours du fleuve, il prit la direction de la ville où il retrouverait sa routine journalière. Entraînement, aide à la famille et désespoir. Un petit soupir s’échappa de ses lèvres, à quand les grandes aventures ? Quand pourrait-il enfin s’adonner au plaisir de combattre ? Il n’en savait trop rien quoi qu’il en soit une chose était certaine, pour l’heure la seule chose dont il était capable s’était de troubler une fille de ferme. Pas vraiment glorieux comme exploit, c’était loin des faits grandioses de certains guerriers qui d’un seul cri arrivaient à désespéré un bataillon entier ! Ha… Les contes, quelle source éternelle d’espoir. Ha… L’espoir, quelle source exceptionnelle de déceptions ! Le jeune homme se trouvait bien stupide en cet instant. Il rêvait de devenir un combattant craint de ses ennemis, respecté de ses amis, et il rougissait devant le prude regard d’une jeune femme. Ho… Il était loin d’envier la réputation de violeur de certains soldats en campagne, vraiment loin de là… Mais ça ne l’empêchait pas de se trouver bien loin des exploits que contaient certains apprentis à l’auberge. Il se surprenait à se trouver bien moins souple que nombre d’entre eux lorsqu’il essayait de se faire une image de leurs prouesses. Certaines positions évoquaient laisser même planer dans son esprit quant à la faculté du corps humain à effectuer de telles prodiges. Quoi qu’il en soit c’était avec les ragots du lavoir qu’on se faisait mal voir des femmes de Muni’Mura. Et les ragots gagnaient bien vite les tavernes où s’entassaient les hommes. Ainsi nombre de femme avait perdu leur honneur par la seule force du commérage tandis que d’autres que les femmes voyaient comme des anges étaient décrites comme des morceaux de glace par les soulards. Quelle réputation aurait-il, lui, auprès des femmes comme des hommes ? Il s’imaginait déjà la scène, les matrones en train de laver leur linge à côté des jeunes filles de la ville tout en racontant : "Il parait que le maigrichon de chez Veinefer est un poltron." "Oui, j’ai entendu dire ça, il s’est enfuit comme une bourgeoise lorsque la gamine l’a trouvé en train de faire trempette." "C’est mignon." "Oui, c’est peut-être bien pour les gamins de la cour mais crois-moi, un précieux comme celui-là n’aura pas la main de ma fille. Je veux des petits enfants, pas des promesses délicates !" "Hé, la mère ! Je vous rassure, nous et les copines non plus on ne veut pas de mômes pour maris, mais des hommes, des vrais !" Et encore, ça ce n’était que des commérages de femme. Il s’imaginait déjà la scène, lui entrant dans la taverne du Grand Bonhomme. "Ha ! Mais regardez qui voilà ! La pucelle du fleuve !" "Alors gamin, t’as pas perdu tes chausses dans l’eau ?" "Rassure-moi petit, elle t’a pas fait peur la fillette qui a vu ton petit bout de rien !" "Non, les gars ! Vous comprenez rien ! Il a pas eu peur qu’elle voit quelque chose ! Il a craint qu’elle ne se rende compte qu’il n’y ait rien à voir !" "Ha… C’est donc ça ! Le mioche de Veinefer est pas né entier !" Se mordant la lèvre tout en imaginant toutes ces humiliations il commença à marcher plus lentement et tourna la tête pour regarder la fille qu’il avait laissé sur la rive sans plus d’explications. Est-ce qu’elle raconterait tout ça à ses amies ou à une sœur ? Est-ce qu’elle allait le peindre comme étant un homme sans virilité et sans courage, qui fuit devant le regard d’une paysanne ? En s’excusant platement avec ça ! Est-ce qu’elle allait faire courir la rumeur que… Qu’il était celui qu’il était ? Car force était de le constater, c’était bien ce qu’il était… Un peureux qui avait fait preuve d’une pudeur bourgeoise face à une adolescente du même rang que lui…

Il se sentait déjà mal.