Dépression [Liora]

Krall ne savait trop que faire de ses journées… Il passait son temps à aider ses parents à livrer, mais en ce moment ils étaient en période de confection et n’avaient donc pas besoin de lui. Ses cadets étaient parfaitement aptes à s’occuper d’eux-mêmes et sa sœur aînée continuer son apprentissage. Le jeune homme avait déjà été prié aussi était-il inutile de retourner à l’église. Qu’allait-il donc bien pouvoir faire de cette journée ? Il n’en savait trop rien, une chose était cependant certaine, il avait envie d’avoir un travail et il n’en trouvait pour le moment pas. Aussi en attendant ce moment si appréciable où il aurait enfin l’occasion de gagner sa vie, il voulait se détendre. C’est la raison pour laquelle il était allé à la taverne ce soir là. Il voulait se changer les idées et pourquoi ne pas trouver le courage d’accoster une jeune femme ? Il était donc à une table, mangeant tranquillement un repas assez maigre pour entrer dans son budget du mois tout en observant les gens qui l’entouraient. A chaque fois que la porte s’ouvrait, il observait qui pouvait bien être rentré et en fait pour le moment il ne s’agissait de personne d’intéressant. Des hommes qui rentraient du travail ou bien ceux qui n’en avaient pas. Parfois il y avait des hommes en arme, il détaillait alors toujours leur équipement, se demandant s’ils allaient porter quelque chose que son père avait forgé et qu’il leur aurait livré dans les jours précédents. Il n’avait que peu d’intérêt à faire ceci, c’était de la curiosité tout simplement ; Mais que pouvait-il faire d’autre en cet instant ? Il ne savait rien faire de toute manière. Alors à quoi bon chercher à faire autre chose qu’observer ce qui l’entourait ?

Plus il rencontrait de gens d’armes, et plus il s’apercevait de sa maigre carrure. Qui serait assez fout pour prendre quelqu’un comme lui pour mercenaire et quelle femme serait assez folle pour vouloir de lui comme mari ? La pression était plus forte chaque jour, car chaque jour ses parents semblaient plus mécontents de lui. Lorsqu’il était plus jeune on lui pardonnait de ne rien savoir faire. Aujourd’hui ils attendaient au minimum de lui qu’il entre en apprentissage. Mais il ne voulait pas, il voulait être un combattant, mais c’était impossible que d’être un apprenti dans ce domaine-ci. Trop dangereux pour l’apprenti ou trop handicapant pour le maître. Il fallait qu’il apprenne par lui-même, qu’il se fasse un nom et qu’il trouve quelqu’un pour l’employer. Krall serra les dents, c’était trop dur que de vivre ainsi, en se sachant parfaitement inutile. Il inspira profondément, espérant se calmer mais sa respiration se brisa en un sanglot. Un soubresaut agita son thorax et il plongea son visage ravagé par la tristesse entre ses mains. Pourquoi donc ne pouvait-il être un fier et brave combattant ? Pourquoi ne pouvait-il pas être intéressé par le métier de son père et trouvait le savoir-faire du forgeron auprès de lui ? Pourquoi ? Pourquoi le monde était-il aussi cruel avec lui ? Il serra les dents, tentant de se calmer, mais les larmes continuaient de couler. Elles ne voulaient pas s’arrêter, comme s’il était impossible que les choses aillent mieux. Cet instant lui révéla à quel point il était faible et il faillit perdre tout espoir de jamais pouvoir vivre heureux. Mais quelque chose restait bien vivant en lui, la volonté d’un homme qui a décidé de prendre en main sa vie. Son cœur se pressait et il le sentait comme transpercer par la lame d’un guerrier. Cette lame il la sentait depuis bien longtemps au plus profond de ses entrailles. La peur… Il avait peur. Et c’était ça qui le tétaniser dans son incompétence sans lui laisser la moindre chance d’en sortir.

Liora était seule, terriblement seule. Pas besoin de le dire, c’était une bénédiction pour elle. Et c’était un soulagement que de ne pas avoir sur elle le poids de la présence de toute sa fratrie. Oui, ceux-ci ne sortaient que rarement dans les tavernes, ils étaient beaucoup plus attachés à la vie en famille qu’elle. Personne dans son sang dans l’endroit, c’était comme une sanctification pour la taverne à ses yeux. Elle y entra donc avec grande joie, un magnifique sourire sur les lèvres. Ce jour là elle avait serti sa robe de deux cordes, l’une pour bien marquait la courbe de ses hanches et l’autre pour affirmer sa poitrine. Elle prenait grand soin de son apparence, c’était un souci constant que de bien paraître. Car plus elle serait belle, et mieux on se souviendrait d’elle comme étant elle-même et non simplement l’un des membres de sa famille. Il fallait qu’on l’appelle Liora, et non plus "l’Arganelle" comme toujours jusqu’à présent. C’était devenu insupportable que de devoir toujours vivre dans l’ombre de sa famille. Elle ne l’avait jamais vraiment supporté, mais aujourd’hui, c’était devenu une nécessité. Elle avait besoin de nouvelle rencontre, de se changer les idées en discutant avec quelqu’un qui ne la reconnaîtrait pas comme l’une des filles de sa mère qui portait les mêmes yeux qu’elle.

La jeune femme observa tranquillement la salle dans un mouvement circulaire du chef. Il y avait beaucoup de saoulards et pas beaucoup de jeunes gens fréquentables. A vrai dire personne ici ne semblait être issu d’une bonne famille. La plupart des gens portaient le même type de vêtements qu’elle, sales et rapiécés. Et bien tant pis, ce n’était pas le luxe qu’elle était venu chercher mais de la compagnie. Elle s’élança d’un pas joyeux entre les tables de la Taverne du Grand Bonhomme. Elle salua poliment les employés de l’endroit puis finalement se dit que s’asseoir à une table seule serait bien triste. Surtout qu’elle ne voulait pas d’un type saoul qui la peloterait sans vergogne et dont elle ne pourrait se débarrasser. Elle tomba alors sur un visage qui n’avait rien de familier, un inconnu total qui était de sangloter à une table. La jeune femme fut soudain prise de pitié pour lui, aussi prit-elle une chaise et s’installa à côté de lui.

"Et bien, ça ne va pas ?"

Krall manqua tomber de sa chaise lorsqu’une jeune femme s’assit à côté de lui. Bien qu’il ait le visage dans les mains et qu’il ne put donc la voir, il n’eût aucun mal à l’entendre s’asseoir à côté de lui et son odeur était loin d’être celle d’un homme. Ayant correctement réprimé le sursaut qui l’avait étreint un peu plus tôt, il se rendit compte que les poils sur sa nuque s’étaient dressés de façon qu’il était évident que son corps s’était mit en alerte. Et de fait il était à deux doigts de s’enfuir à courant, le fait qu’une femme s’approche de lui dans une taverne, une chose qui ne lui était jamais arrivée. Il savait que l’établissement n’était pas un hôtel de passe, et si ça avait été le cas il aurait put se rassurer en se disant qu’elle en voulait à son argent. Mais que voulait celle-ci ? Il n’en savait trop rien. Il se demanda alors s’il lui plaisait ? Etait-il possible qu’elle le connaisse un peu et qu’elle ait été charmée par lui sans qu’il s’en rende compte tant et si bien qu’à présent elle venait le voir dans l’espoir de le charmer ? Il en doutait fortement et de fait lorsqu’il leva ses yeux rouges et gonflés vers elle il se rendit compte qu’il ne l’avait jamais vu. Et qu’elle était particulièrement charmante, surtout avec ces petites paillettes vertes qui scintillaient dans ses yeux marron. Et puis se visage si fin et cette douce voix qui lui demandait s’il allait bien. Son cœur faillit lâcher, sa gorge était plus nouée que jamais. Comment pouvait-ce être possible ? Elle s’inquiétait pour lui ? Il toussa un peu puis sortit un morceau de tissu sale de sa poche pour se moucher. Il leva de nouveau les yeux vers elle après avoir remit le mouchoir dans son pantalon et déglutit difficilement.

"Rien d’important."

Il ne voulait pas s’étendre sur le sujet auprès d’une inconnue, d’autant plus qu’elle l’attirait. Courtois, il essayait de se dérober de belle manière, sans faire d’accroc, sans la déranger… Et comment aurait-il put la déranger alors qu’elle était venu le voir ? Il serra les dents. Mais pourquoi était-il aussi maladroit avec les femmes ? Pourquoi ne pouvait-il pas être comme ces gardes si sûrs d’eux qui demandaient ce qu’ils voulaient à ses demoiselles avec aisance et qui l’obtenaient bien souvent ! Pourquoi avait-il un corps si frêle ? Pourquoi donc fallait-il qu’il soit si timide, si effacé, si… Lui-même ! Pourquoi donc son nom ne lui apportait-il pas le soutien de Krall qui aurait pu le protéger de tous ces désagréables malheurs ? La question se posait sans cesse à lui et à vrai dire le fait qu’il partage le nom de la divinité n’avait en rien influé sur sa vie jusqu’à aujourd’hui. Et son père qui ne cessait jamais d’en rajouter comme quoi il était fétiche et trop peu adroit pour qu’on puisse lui faire confiance. Et sa mère qui en plus de le trouvait frêle savait pertinemment à quel point il était peureux et qui lui disait à longueur de temps qu’il ne trouverait jamais une femme qui voudrait de lui. Non, il ne pouvait se permettre de rester ainsi, les yeux rouges, comme un enfant, face à une inconnue qui voulait le rassurer comme on le fait avec un nourrisson qui a peur d’un trop grand bruit. De la pitié, voilà tout ce qu’il inspirait aux femmes. Il se leva brutalement et quitta l’endroit en courant. Tentant d’échapper à cette pitié qu’on avait pour lui et qui le déshonoré plus encore que s’il avait inspiré du dégoût.