Premier pas en solitaire

Krall entra humblement dans l’église, la tête baissée, les mains jointes. Il serrait tout contre lui un modeste morceau de tissu… Une chose qu’il avait ramassée un peu plus tôt chez lui, un bout de chiffon qui lui servait de ceinture lorsqu’il était petit. Il se souvenait de ces moments passés dans la chaleur du foyer, sans crainte, dans la quiétude et la simplicité. Il se souvenait le simple bonheur qu’il avait à rester étendu à ne rien faire ou à jouer avec les enfants. Aujourd’hui ces bonheurs étaient partis et il ne lui restait plus qu’une chose : l’angoisse et le désir de vivre autrement. Il était une sorte de honte pour sa famille, il ne leur apportait rien, ni nourriture, ni argent, ni aucune fourniture de quelle type qu’elle puisse être ! Il était un simple adolescent qui n’avait ni travail, ni avenir. Un garde l’avait attaqué puis avait prétexté qu’il faisait ça pour le tester et qu’il allait l’entraîner mais il n’en était rien. Il ne l’avait jamais revu. L’entaille étant assez légère cependant les prêtres l’avaient entièrement soigné sans que ça pose trop de problèmes. Cet évènement n’avait fait que renforcer sa foi qui pourtant été ébranlée par ses malheurs. Alors qu’il était incapable de faire quoi que ce soit pour gagner sa vie, qu’il savait que le mois prochain il lui faudrait vider entièrement sa bourse s’il voulait manger à sa faim, et que l’avenir lui paraissait de plus en plus obscur, il avait douté des Dieux. Mais il ne se le permettait plus aujourd’hui, alors qu’il marchait entre les rangs pour bientôt s’installer à côté d’un jeune homme qui lui était inconnu. Krall baissa alors la tête et doucement prit la mesure de sa respiration tout en s’élançant dans les prières.

"Bolion, s’il te plait lie toi à Krall, par pitié, offre-moi un métier dans lequel je pourrai laisser épanouir ma force. J’ai besoin de surmonter les épreuves que vous me lancez, j’ai besoin d’être plus puissant… Je ne sais pas comment faire, tout semble s’écrouler autour de moi. Alors que je m’entraîne les douleurs m’assaillent à cause de la dureté des exercices, je n’arrive pas à me convaincre que je pourrai un jour affronter un homme. A vrai dire je n’ai jamais même essayé, je n’en ai jamais eu l’occasion. J’ai déjà tenu des armes, mon père étant forgeron, mais je n’ai jamais su les utiliser. Pitié, mes Dieux, offrez-moi plus de force, guidez-moi vers la force que doit avoir un homme et éloignez-moi de l’enfant que je suis. J’ai besoin de votre aide."

Il embrassa légèrement ses mains puis se leva… Il fallait qu’il sorte de ce carcan si contraignant, il fallait qu’il devienne enfin quelqu’un et non plus l’ombre de quelqu’un. Alors comment faire ? Il avait déjà tenté à de nombreuses reprises de trouver un employeur mais sans jamais avoir de succès. Lui qui n’avait jamais combattu et qui rêvait pourtant de gloire dans la bataille. Lui qui n’avait jamais fait couler le sang et qui rêvait avoir la réputation de certains héros de guerre ! Il voulait enfin devenir important, ou tout du moins avoir assez d’argent pour ne plus craindre fébrilement la prochaine fois qu’il devrait ouvrir sa bourse ! Il voulait quelque chose de grandiose, une chose qu’il n’avait pas encore atteint et qu’il espéré pouvoir un jour obtenir : la fierté. Oui, il voulait pouvoir être fier, mieux encore, être sûr de lui ! Ne plus avoir peur des femmes, ne plus être effrayé par la possibilité d’être vaincu ! Il fallait qu’il s’endurcisse, qu’il devienne enfin un homme ! Oui, sortir de ce rôle d’enfant qui lui collait à la peau pour être enfin un adulte !

Krall resta silencieux et immobile. Cette affaire ne le concernait pas, écouter la conversation de membres du clergé n’était pas vraiment une chose qu’il avait pour ambition d’accomplir. Il resta donc dans l’anonymat le plus complet alors qu’il était debout, la tête baissait de façon à ce que ses cheveux tombent devant son visage et qu’on ne le reconnaisse pas. Il n’aimerait pas que les prêtres se méfient de lui parce qu’il entendait leur conversation. Mais les oreilles ne se ferment pas comme des yeux, et il sut bientôt de quoi il en retournait. Certes, la chose le révoltait, mais il ne s’imaginait pas vraiment en train de combattre des bandits sans avoir aucune formation au combat et avec pour seul soutien le peu de muscle qu’il avait obtenu au cours de ses entraînements… Il déglutit difficilement et s’apprêta à reprendre sa route lorsque soudain une voix le surpris. Il jeta un petit coup d’œil et remarqua que le jeune homme qui était en train de prier à côté de lui c’était levé. Ne l’ayant jamais vu il supposait que ladite personne n’était pas de Muni’Mura. Et pourtant il semblait le connaître… Quoi que… Non ! Il faisait semblant de le connaître et l’embarquait dans sa proposition. Krall serra les dents, mécontent d’être pris à parti dans une aventure dont il ne voulait pas. Ha ? Et bien il allait mettre le gars dans l’embarras en partant tout de suite et d’un pas décidé ! Le fils de forgeron leva sa… Non. Sa jambe resta là où elle était, son pied étant incapable de décoller du sol alors qu’une idée fulgurante venait de le percuter. Sa prière ! Il avait demandé un signe, une indication qui lui permettrait de suivre la bonne voie ! Oui, c’était une manifestation divine, là où beaucoup y auraient vu du hasard il comprit que c’était Jaïna qui lui apportait de la chance. Bolion et Krall l’avaient entendu ! Une chaleur enivrante parcourut son corps alors qu’il se sentait enfin aidé à devenir ce qu’il souhaitait être. Oui, le combat ! Son premier combat ! Contre des hérétiques, c’était bien là la marque des Dieux. Il se retourna et leva la tête un instant vers les hautes colonnes de l’édifice afin que ses cheveux s’écartent de son visage. Puis il observa l’homme et les prêtres avec un grand sourire presque carnassier ! Oui, il allait les aider. Il s’avança d’un pas dans leur direction et inclina la tête en guise de marque de respect.

"Prêtres, je serai heureux d’accomplir cette tâche pour la Sainteté."

Il leur aurait bien demandé des armes mais il doutait que des hommes d’église aient de tels objets à mettre à disposition d’un homme. Après tout l’Eglise était à la tête de la Garde de la ville… Il aurait été inutile d’avoir une force armée supplémentaire et puis s’ils en avaient eu une, ils n’auraient pas eu besoin de lui, ni de cet inconnu qui venait de se proposer. Krall se demandait d’ailleurs si celui-ci lui serait d’une grande aide étant donné le peu de carrure qu’il avait… Enfin bon, mieux valait ne pas être seul, c’était une certitude, quand bien même il ne savait pas se battre, sans doute saurait-il l’aider d’une manière ou d’une autre face aux bandits. Le sourire aux lèvres, il se sentait des instincts de chasseur en cet instant. Oui, il allait enfin savoir ce que c’était que de participer à un combat ! D’autant plus que celui-ci était juste et pieux ! Il allait travailler pour l’église et combattre des voleurs hérétiques ! C’était le début de folles épopées sans aucun doute. Oui, Krall se laissait un peu emporter en cet instant alors qu’il s’imaginait déjà dans quelques années avec une réputation qui le précèderait partout où il irait !

Krall observa un instant l’échange sans trop y prêter attention mais en gardant tout de même en mémoire les choses les plus importantes : les explications du prêtre. Les promesses de son camarade ne l’intéressaient pas particulièrement, pas plus que tous les détails sur Muria. Il avait compris qu’on avait volé un Dieu et se refusait à ce que ça se passe ainsi, il ne défendait pas la Déesse par peur de représailles mais par amour. En effet, Muria était la mère, sans elle rien n’existerait, aussi ne fallait-il pas craindre qu’elle nous retire nos dons, il fallait simplement la remercier de ce qu’elle nous avait déjà donné. Tout du moins c’est de cette manière que le jeune homme voyait les choses. Belauror, Belle Aurore, restait à voir si ce village était aussi paradisiaque que le laissait passer son nom. Le jeune homme hocha tranquillement la tête, sans doute aurait-il été bon de savoir quel était exactement l’offrande qui avait été volé mais après tout si ça avait été vraiment nécessaire ils le leur auraient surement dit. On ne peut pas vraiment dire que Krall était de nature curieuse, il était de toute manière bien trop excité par la perspective du combat pour vraiment s’intéresser à autre chose. Il savait à présent où commencer à chercher et il comptait bien y aller tout de suite. Il salua rapidement, d’un mouvement du chef, chacun des moines puis fit volte-face, se doutant bien que son "camarade" le suivrait tôt où tard. Il sortit alors de l’église sans plus un mot, dire qu’il n’avait pas de quoi s’acheter une arme… Il faudrait qu’il fasse le tout à main nue et sans armure. Son compagnon d’aventure ne semblait pas vraiment être mieux équipé que lui a vrai dire et pas bien plus riche. Ses vêtements avaient un certain style mais étaient trop sales et mal entretenus pour reflétait une réelle fortune. Les dents serraient, Krall pria de nouveau alors qu’il marchait en direction du lieu de levée du soleil. Il avait dans l’estomac un nœud qui s’était desserré et ça lui communiquait une sensation de bien être qui l’aidait à appréhender la bataille à venir d’un œil optimiste. Oui, ce serait violent, oui il risquait d’y perdre des plumes, mais ça n’était pas vraiment important puisqu’il le faisait pour les Dieux, pour la Sainteté et pour la Justice ! Son camarade avait dit qu’ils allaient mourir ou réussir… Lui était un peu moins sûr de ça. Si jamais les choses se passaient vraiment mal, ils n’agiraient pas avec un masochisme avoué et accepterait sa défaite. Le courage était une chose, la témérité en était une autre, la folie était encore différente. Et même si pour lui c’était être vertueux que d’accepter de mourir pour une cause qu’on défend, à ses yeux c’était être un zélé que de s’apprêter à périr pour récupérer une simple offrande. Pas une relique, ni un trésor impérial, non, juste une simple offrande. On pouvait être blessé pour ça, on pouvait souffrir pour ça mais pas mourir ! Tout en marchant, le jeune homme entoura sa main de la bande de tissu qu’il avait retrouvé un peu plus tôt chez lui… Déjà Jaïna était là au moment où il avait récupéré ce morceau d’étoffe, car sans ça il n’aurait pas été prié à cet instant, il n’aurait pas surpris les prêtres, il n’aurait pas été entraîné dans l’histoire par un inconnu et il ne serait pas en chemin vers son premier combat. Tous les doutes, toutes les souffrances qu’avaient eu Krall dernièrement étaient en train de se résorber, comme la marée qui se retire pour laisser apparaître des merveilles, la crainte du jeune homme venait de laisser place à toute la volonté qu’elle lui avait fait acquérir. Il détestait tant sa situation qu’il ne craignait pas de souffrir pour s’en extirper ! Krall était en marche pour Belauror !